
Omnibus : quelles simplifications pour les règlementations ESG ?
La Commission européenne a publié le 26 février un projet de législation « omnibus » visant à simplifier les obligations européennes de reporting en matière environnementale, sociale et de gouvernance (ESG). Il a pour ambition d’alléger les contraintes pesant sur les entreprises, tout en harmonisant les réglementations CSRD, CS3D (devoir de vigilance) et la taxonomie verte européenne.
Simplification ou détricotage ? Ce texte constitue un tournant décisif pour le Green Deal (Pacte vert pour l’Europe) et les obligations des entreprises en matière de reporting de durabilité.
Pourquoi simplifier le reporting ESG ? Qu’attendre du projet d’omnibus ? Quelles sont les implications concrètes pour les entreprises ? À quelles échéances ? Comment se préparer en tant qu’entreprise ?
Cet article vous propose un décryptage de l’omnibus et sera régulièrement mis à jour dans les prochaines semaines.
CSRD, CS3D, taxonomie verte européenne : un cadre ambitieux pour les entreprises
Fin 2019, la Commission européenne a présenté son Pacte vert européen ou Green Deal, un ensemble de mesures visant à faire de l’Europe un continent neutre en carbone à l’horizon 2050. Pour réussir et financer sa transition écologique, l’Union européenne a mis en place une série de mesures pour les investisseurs, les entreprises et les citoyens.
En imposant de nouvelles obligations de reporting aux plus grandes entreprises, l’Union européenne souhaitait définir un cadre commun et mettre au même niveau les informations financières et extra-financières.
L’objectif : orienter les investissements vers les entreprises les plus vertueuses.
Contexte de la simplification des obligations ESG : du rapport Draghi à la boussole de compétitivité
Publié en avril 2024 et commandé par la Commission européenne, le rapport Draghi est une analyse sur la compétitivité et la croissance de l’Union européenne. Il met en lumière les défis économiques auxquels l’Union européenne est confrontée face à la concurrence des États-Unis et de la Chine.
Selon le rapport Draghi, certaines normes, notamment la CSRD, peuvent freiner l’innovation et la compétitivité des entreprises. Il appelle à simplifier les réglementations environnementales afin de trouver un équilibre entre la nécessité de régulations pour protéger l’environnement et la société et la flexibilité requise pour permettre aux entreprises européennes de rester compétitives sur la scène internationale.
Adoptée en novembre 2024, la déclaration de Budapest s’appuie notamment sur le rapport Draghi pour tracer une feuille de route pour une Europe plus compétitive. Le Conseil européen prône notamment une « révolution en matière de simplification », avec l’objectif de réduire de 25 % les obligations de reporting d’ici mi-2025 pour les entreprises et de 35 % pour les PME.
Enfin, en janvier 2025, Ursula von der Leyen a présenté « La boussole de la compétitivité » de l’Union européenne, évoquant cette fois un « choc de simplification », permettant aux entreprises de réaliser 37 milliards d’euros d’économies, tout en maintenant les objectifs de décarbonation du continent.
Qu’est-ce qu’un « omnibus » ?
Pour simplifier les obligations européennes de reporting ESG, la Commission européenne va proposer un omnibus législatif, un projet de loi qui regroupe plusieurs modifications ou révisions de textes existants sous une seule et même proposition. Le terme “omnibus” vient du latin et signifie “pour tous”.
Il existe deux types d’omnibus :
- Le règlement omnibus, qui modifie les règlements existants (par exemple la taxonomie) et s’applique directement dans le droit des pays membres, sans transposition nécessaire, comme la taxonomie verte européenne.
- La directive omnibus, qui modifie les directives existantes (par exemple la CSRD et la CS3D) et doit être transposée par les États membres dans leur droit.
L’omnibus peut comporter deux niveaux de modification :
- Les modifications de niveau 1 sont majeures et reviennent sur les grands principes de la directive ou du règlement. Elles entrainent un processus législatif plus long avec un vote du Parlement et du Conseil.
- Les modifications de niveau 2 permettent d’ajuster la mise en œuvre ou les détails techniques de la directive ou du règlement. Elles sont prises par la Commission via des actes délégués et d’exécution, avec un droit de veto des États et du Parlement.
Selon la Commission européenne, cette initiative répond à trois objectifs :
- Simplifier les obligations de reporting ESG
- Améliorer la compétitivité européenne
- Répondre aux préoccupations des parties prenantes
Que retenir des modifications proposées pour la CSRD, la CS3D et le devoir de vigilance ?
Ce paquet législatif omnibus a suscité de vifs débats. Comme prévu, la Commission européenne a publié une proposition de simplification des obligations de reporting ESG des entreprises. Comme précisé ci-dessus, il est essentiel de rappeler que ces propositions devront suivre le parcours législatif pour être définitivement adoptées.
CSRD : les fondamentaux sont conservés
Avant d’évoquer les modifications proposées, il est essentiel de rappeler que les fondamentaux de la CSRD sont maintenus :
- La double matérialité reste obligatoire.
Elle permet aux entreprises d’identifier leurs impacts positifs et négatifs (matérialité d’impact) et leurs risques et opportunités face aux enjeux ESG (matérialité financière) - Les normes de durabilité (ESRS) sont conservées.
Si des ajustements sont prévus, notamment la réduction du nombre d’informations à collecter, les entreprises concernées continueront à reporter sur l’ensemble des enjeux ESG (climat, biodiversité, ressources…)
CSRD : les changements proposés
- Diminution du nombre d’entreprises concernées : seules les entreprises de plus de 1 000 employés (au lieu de 250), avec un chiffre d’affaires supérieur à 50M€ ou un bilan supérieur de 25M€, doivent se conformer à la CSRD. Concrètement, la CSRD, qui devait concerner 50 000 entreprises, n’en concerne plus que 10 000. Les PME cotées ne sont plus soumises.
- Report de deux ans de l’application de la CSRD pour les vagues 2 et 3
- Value chain cap : limitation des informations à collecter sur la chaîne de valeur
Les informations qui pourront être demandées à des entreprises de moins de 1 000 employés seront limitées aux données exigées par la norme volontaire (VSME). - Les normes de durabilité, ESRS, seront revues, avec moins d’indicateurs obligatoires.
- Les normes sectorielles, attendues en 2026, sont finalement abandonnées.
- Concernant l’audit, les informations de durabilité seront vérifiées avec une assurance limitée, alors que la Commission européenne envisageait initialement un passage progressif à une assurance raisonnable, un contrôle plus stricte comme c’est le cas pour l’audit financier.
Les changements proposés pour la CS3D (devoir de vigilance)
Menacé de suspension, le devoir de vigilance est finalement maintenu mais se limite désormais aux fournisseurs directs, alors qu’il concernait initialement l’ensemble de la chaîne de valeur.
Concrètement les entreprises seront tenues de mener des analyses approfondies uniquement pour leurs fournisseurs de rang 1. Elles devront réaliser une diligence raisonnable complète sur leurs fournisseurs indirects uniquement si elles disposent d’informations indiquant des impacts négatifs potentiels ou réels.
- Baisse de la fréquence d’évaluation de la chaîne de valeur, qui passe d’une fois par an à tous les 5 ans
- Suppression de l’obligation de rompre les contrats avec les fournisseurs défaillants
- Le délai d’application est fixé au 26 juillet 2028.
- Comme pour la CSRD, les informations que les grandes entreprises pourront demander à leurs fournisseurs de moins de 500 employés sont limitées aux données exigées par la norme volontaire (VSME).
Les changements proposés pour la taxonomie verte européenne
- Diminution du nombre d’entreprises concernées : seules les entreprises de plus de 1 000 employés, avec un chiffre d’affaires supérieur à 450M€.
- Réduction de 70 % du nombre d’informations exigées
- Non prise en compte des activités non significatives (moins de 10 % du chiffre d’affaires, des investissements ou des actifs totaux)
- Possibilité de reporting partiel : Les entreprises qui ne répondent pas pleinement aux critères de la Taxonomie pourront déclarer volontairement leur alignement partiel et valoriser leurs efforts.
- Simplification des critères Do No Significant Harm : une consultation publique est prévue
Calendrier et prochaines étapes du projet omnibus
Le paquet « omnibus » a été publié le 26 février.
Ce paquet comprend deux directives :
- La première, qui devrait être adoptée plus rapidement, pour gérer le dispositif “stop the clock”, qui introduit un report de 2 ans pour les vagues 2 et 3 en attendant le relèvement des seuils) ;
- La seconde pour gérer les autres changements (scope, normes…).
Si les modifications de niveau 2 pourront être prises rapidement par la Commission européenne, les modifications de niveau 1 (celles qui touchent aux fondamentaux des textes), devront être votées à la fois par le Parlement et le Conseil européens, un processus législatif qui nécessite plusieurs mois. La version définitive de l’omnibus est attendue au plus tôt 2026.
Comment se préparer à ces évolutions de la règlementation ?
Bien entendu, il est essentiel de rester en veille sur le sujet. Si le paquet législatif « omnibus » publié le 26 février donne une première tendance des modifications attendues, il faut continuer à suivre le processus législatif.
La première étape est de réévaluer votre éligibilité aux exigences de reporting de durabilité révisées. Si vous restez éligible, poursuivez votre mise en conformité progressivement en réalisant une analyse de double matérialité, concentrez-vous sur les enjeux de durabilité essentiels à vos activités, notamment le changement climatique.
Si vous n’êtes plus éligible aux obligations de reporting, nous vous conseillons tout de même d’appliquer volontairement les attendus de la norme simplifiée (VSME) pour être en mesure de répondre à vos donneurs d’ordre.
Chez Goodwill-management, nous restons convaincus que la CSRD ne doit pas être un simple exercice de reporting, mais un levier stratégique pour assurer la pérennité et la compétitivité des entreprises européennes.