Sarah Bougeard
Manager RSE
Le changement climatique n’est plus une menace lointaine : il est une réalité tangible qui bouleverse déjà nos sociétés, nos économies et nos écosystèmes. Face à l’accélération des impacts – vagues de chaleur, inondations, sécheresses, feux de forêts – les entreprises doivent désormais intégrer une stratégie d’adaptation au changement climatique dans leur modèle de développement. Il ne s’agit plus d’une démarche optionnelle mais véritablement d’un enjeu stratégique de maitrise des risques opérationnels et financiers, mais également d’identification de nouvelles opportunités de développement.
Mais qu’entend-on exactement par « stratégie d’adaptation au changement climatique » ? Comment se distingue-t-elle de l’atténuation ? Et surtout, pourquoi devient-elle incontournable pour les organisations de toutes tailles et de tous secteurs ?
Cet article propose un guide complet pour comprendre les enjeux de l’adaptation, savoir comment s’y prendre pour identifier les risques climatiques, construire une stratégie robuste et découvrir des exemples inspirants d’entreprises pionnières.
L’adaptation au changement climatique désigne l’ensemble des mesures, politiques et pratiques mises en place pour limiter les impacts négatifs du changement climatique et exploiter, le cas échéant, certaines opportunités (par exemple, l’allongement de certaines saisons agricoles, changement des habitudes de consommation…). Elle peut être préventive (anticiper les risques futurs) ou réactive (répondre à un événement déjà survenu).
En d’autres termes, il s’agit de s’ajuster à un climat qui change déjà, plutôt que de chercher uniquement à prévenir ce changement.
L’atténuation vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre pour limiter l’ampleur du changement climatique futur. L’adaptation vise à se préparer et s’organiser pour faire face aux impacts inévitables de l’évolution du climat à venir.
Ces deux dynamiques sont complémentaires : sans atténuation, l’adaptation deviendra impossible car les impacts du changement climatique seraient trop importants ; sans adaptation, les dommages liés au climat mettront en péril nos sociétés malgré les efforts de réduction des émissions.
Les évènements extrêmes que nous connaissons aujourd’hui tels que les vagues de chaleur records, les sécheresses prolongées, les inondations… ne vont que s’accélérer et s’aggraver à mesure que le climat continue à changer. La « machine climatique » a une certaine inertie. Même si nous respectons la trajectoire de réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre demandée par les Accords de Paris, la température moyenne sur Terre va continuer à augmenter à moyen terme, à cause de ce phénomène d’inertie. En conséquence, les évènements extrêmes que nous connaissons déjà aujourd’hui vont continuer à s’intensifier malgré des efforts nécessaires d’atténuation.
Ensuite, ne pas agir dès aujourd’hui pour nous adapter va nous coûter très cher ! Le ministère de l’Économie français a chiffré une perte potentielle de 11 points de PIB pour l’économie française à horizon 2050 si rien n’était fait pour nous adapter à cause, par exemple, de la dégradation des infrastructures, de la tension sur la ressource en eau, de ruptures logistiques ou encore de baisse de productivité liée aux conditions de travail.
Les parties prenantes sont aussi de plus en plus exigeantes, qu’il s’agisse des banques et assurances qui sont pionnières pour contenir les risques climatiques de leurs portefeuilles, ou des autorités avec des obligations réglementaires accrues, notamment liées à la CSRD.
Alors que l’adaptation est un sujet qui doit être pensé en cohérence avec l’atténuation, elle est le parent pauvre des politiques climatiques des entreprises. Son sous-financement met aujourd’hui les entreprises et les collectivités à risques.
Vous l’aurez compris, l’adaptation est un enjeu stratégique au service de la pérennité des entreprises. Adopter une stratégie d’adaptation n’est pas une contrainte, c’est aussi une opportunité stratégique pour réduire ses risques opérationnels et financiers, innover en développant de nouveaux produits et services adaptés au climat futur ou encore identifier de nouvelles opportunités et avantages concurrentiels.
Les risques climatiques physiques découlent directement des aléas climatiques et ont déjà des impacts sur les entreprises :
Ils concernent l’évolution des cadres réglementaires, économiques et sociaux liés à la lutte contre le changement climatique et la transition vers une économie bas carbone. Ces risques de transition sont :
La méthode OCARA (Operational Climate Adaptation and Resilience Assessment) pose un cadre pour analyser la vulnérabilité d’une organisation. Ce cadre garantit l’exhaustivité de l’étude d’impact afin d’éviter les angles morts et les analyses trop hâtives.
Voici les principales étapes d’un diagnostic des risques climatiques, suivi de la conception d’une stratégie d’adaptation réalisés par Goodwill-management :

Tous les leviers et solutions d’adaptation ne sont pas directement dans les mains des entreprises. S’il est possible d’agir directement sur ses bâtiments, équipements ou sur les conditions de travail de ses salariés, d’autres leviers sont dans les mains des parties-prenantes. C’est pour cela qu’il est crucial de s’intégrer dans des logiques sectorielles de place pour coordonner les efforts de manière concertée. Par exemple, si vous êtes un promoteur immobilier, penser les habitations adaptées de demain passe par une concertation avec les territoires et les villes, pour végétaliser alentour, avoir accès à un réseau d’eau froide pour une climatisation bas carbone, adapter la gestion des déchets, …
Si vous êtes un industriel agroalimentaire, vous devez vous concerter avec votre amont pour anticiper les impacts du changement climatique sur les productions, et avec votre aval, car vos propres produits peuvent changer en qualité, disponibilité…
La stratégie d’adaptation doit préciser comment elle s’inscrit dans une dynamique d’adaptation plus large, qu’elle soit sectorielle, liée à la chaîne de valeur ou territoriale.
Cette coordination est nécessaire pour gagner en impact, mais aussi en logique par la cohérence des enjeux d’adaptation entre les acteurs :
Les grands groupes ne sont pas les seuls à travailler d’ores et déjà sur la mitigation de leurs risques climatiques. Des PME et ETI sont aussi pionnières et investissent pour renforcer leur résilience.
C’est le cas de Charles et Alice. Cet industriel agroalimentaire cherche à sécuriser son activité alors qu’il est implanté dans une zone déjà sous forte tension hydrique à cause des sécheresses. L’entreprise a mis en place un système de capteurs pour suivre ses consommations d’eau et a amélioré ses processus pour réduire le besoin en eau. Elle a également investi sur l’achat de tours adiabatiques pour avoir un circuit fermé en eau pour son réseau de refroidissement. Les résultats sont à la hauteur avec une baisse de 70 % de sa consommation d’eau en 10 ans.
Pocheco, PME spécialisée dans la fabrication d’enveloppes, a transformé son site de production pour améliorer les conditions de travail, notamment par rapport aux canicules et à l’augmentation de la température. L’isolation thermique des bâtiments a été revue et la quasi-totalité des toitures et des abords ont été végétalisés. Une action qui améliore le confort thermique, notamment en été, et a aussi des co-bénéfices importants sur la biodiversité et sur le bien-être des salariés.
Enfin, citons le cas d’Everest Isolation, une PME spécialisée dans les travaux d’isolation des combles qui travaille à garantir la sécurité de ses employés en période de canicule. La société a mis en place des incitations financières pour décaler les horaires de travail en été, a investi dans des gilets de rafraichissement individuels ou des bracelets de surveillance de la chaleur corporelle. Elle a également allongé et augmenté la fréquence des pauses en été. La société en tire un bénéfice direct avec un turn over et un taux d’arrêts maladie largement en dessous des autres entreprises du secteur.
Retrouvez d’autres exemples d’entreprises qui s’adaptent sur l’étude de l’ADEME : En entreprise, comment s’engager dans un parcours d’adaptation au changement climatique ? Sélection de 30 témoignages d’entreprises françaises qui se sont lancées.
Pour certaines entreprises, s’adapter au changement climatique c’est aussi repenser son offre de services et en tirer de nouvelles opportunités de développement. C’est ainsi que le fabriquant de matériel de ski Rossignol a récemment annoncé diversifier son activité en se positionnant sur la fabrication de chaussures de trail, secteur en croissance, contrairement aux équipements de ski.
Le cadre réglementaire sur l’adaptation au changement climatique se densifie et se traduit par des obligations croissantes en matière d’évaluation des risques, de transparence, de planification territoriale et sectorielle, et d’intégration de l’adaptation dans la gouvernance et les investissements. Il ne s’agit plus seulement d’accompagner des bonnes pratiques : les entreprises et les collectivités doivent démontrer des démarches structurées, traçables et proportionnées aux risques identifiés.
Le PNACC‑3 (Plan national d’adaptation au changement climatique) définit une stratégie nationale d’adaptation au changement climatique, priorisant la réduction des vulnérabilités critiques (eau, biodiversité, infrastructures, santé) et la mobilisation de moyens financiers et techniques.
La TRACC (Trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique) est la trajectoire nationale définie pour fixer une hypothèse climatique de référence à laquelle l’ensemble des politiques, des collectivités et des acteurs privés doivent s’adapter en France. Elle vise à préciser « à quel climat » il convient de se préparer à court, moyen et long terme afin d’harmoniser les actions d’adaptation sur le territoire. Les données du site de la DRIAS, ou des outils gratuits comme Bat-ADAPT (développé par l’OID), et climadiag entreprise (développé par Météo France) permettent aux entreprises de visualiser l’évolution des aléas climatiques sur leurs localisations selon la TRACC.
Le Pacte vert européen, ou Green Deal, inscrit la résilience et l’adaptation dans une transition large vers la neutralité carbone, liant politiques climatiques, finance durable et règles sectorielles.
La CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) généralise et renforce le reporting extra‑financier des entreprises en standardisant les sujets et exigences de reporting sur les sujets ESG (Environnement, Social, Gouvernance). Sur le sujet de l’adaptation au changement climatique, L’ESRS E1 « Changement climatique » impose de publier des informations à la fois sur l’atténuation mais aussi sur l’adaptation : identification et description des risques physiques et de transition, scénarios et trajectoires retenus, gouvernance, stratégie et plans d’action couvrant la réduction des émissions et la résilience aux impacts climatiques.
Les normes ISO 14001 (Système de Management Environnemental – SME) ont été revues en 2025. Les organisations doivent désormais démontrer qu’elles évaluent les risques et opportunités liés au changement climatique, planifient des actions d’adaptation proportionnées et assurent un suivi documenté de leur efficacité.
L’adaptation au changement climatique reste encore trop souvent le parent pauvre des stratégies d’entreprise, éclipsée par l’atténuation. Pourtant, les deux doivent être pensées ensemble : réduire les émissions de gaz à effet de serre, tout en renforçant la résilience.
Ne pas agir coûtera bien plus cher que d’investir dès aujourd’hui. Les entreprises doivent donc intégrer l’adaptation dans leur stratégie globale, en mobilisant toutes les parties prenantes internes et externes : fournisseurs, clients, pouvoirs publics, investisseurs, et également dans une logique d’intégration sectorielle.
En définitive, une stratégie d’adaptation au changement climatique n’est pas seulement une réponse défensive : c’est un levier d’innovation, de compétitivité et de pérennité.