À l’approche du Black Friday, la même scène se répète : une avalanche de promotions, des millions de clics et l’idée tenace que c’est le moment idéal pour alléger le budget des fêtes de fin d’année. Un moment présenté comme l’apothéose des “bonnes affaires”. En effet, selon une étude OpinionWay, 58 % des Français profitent de l’événement pour faire leurs cadeaux de Noël. Ils dépensent à cette occasion un peu plus de 206 euros (source NielsenIQ), un chiffre qui s’élève à 82 % pour les parents.
Pourtant, loin de soulager réellement le budget des ménages, cet événement amplifie deux mécanismes bien documentés par l’ADEME : l’effet volume et l’effet revenu. Deux effets rebond qui font exploser l’empreinte environnementale des achats, au moment même où les fêtes de fin d’année constituent déjà le premier poste d’impact écologique des foyers français, principalement à cause… des cadeaux.
Alors, à qui profite vraiment le Black Friday ? Et surtout : peut-on encore parler de bonnes affaires lorsqu’elles aggravent notre empreinte collective ?
Loraine Moiroud
Directrice de projets
Goodwill-management
Bonnes affaires et effets rebond
L’étude Analyse des pratiques liées aux achats de produits d’habillement (ADEME, 2025) éclaire les conséquences souvent invisibles des promotions massives. Lorsque les prix chutent brutalement, les quantités achetées augmentent. C’est l’effet volume : l’achat devient moins rationnel, davantage opportuniste. Un vêtement à -60 % ne répond plus à un besoin mais à une opportunité, entraînant une multiplication des pièces produites, transportées, puis jetées. Ce mécanisme est d’autant plus problématique que 70 % des vêtements ne sont portés que quelques fois avant d’être délaissés, quand on sait que la durée de vie d’un jean ou d’un manteau se compte en années.
Un second phénomène vient amplifier le premier : l’effet revenu. Les économies réalisées lors du Black Friday ne sont que rarement conservées. Elles servent à faire d’autres achats, parfois plus coûteux et plus impactants, faisant grimper l’empreinte totale du foyer. Ainsi, un rabais censé alléger le budget renforce paradoxalement la logique de surconsommation. Cette mécanique montre bien que le Black Friday ne réduit pas l’impact environnemental mais qu’il l’étend. Les bonnes affaires ne le sont que pour le volume de marchandises écoulées, jamais pour la planète.
Changer le symbole plutôt que la date
Il serait stérile d’opposer les consommateurs – qui cherchent légitimement des solutions pour maîtriser leurs dépenses – aux impératifs environnementaux. La question n’est pas de supprimer le Black Friday mais d’en transformer le sens. Certains acteurs commencent à infléchir leurs pratiques en mettant en avant la reprise, la seconde main ou le reconditionné, tandis que la puissance publique envisage de réglementer la publicité des produits les plus nocifs.
Mais pour que ces initiatives pèsent réellement, il faut accepter une évidence : une bonne affaire ne devrait plus être définie par son prix, mais par sa durabilité. Moins de neuf, plus de seconde main. Moins d’accumulation, plus de qualité. Moins d’impulsion, plus de sens. C’est ce changement de symbole – et non de calendrier – qui permettra d’aligner consommation et responsabilité.
En conclusion, le Black Friday peut évoluer, non pas en disparaissant, mais en changeant de signification. À condition d’abandonner l’illusion des bonnes affaires pour redéfinir ce qui a réellement de la valeur, cette journée pourrait devenir un levier de consommation durable. Car une véritable bonne affaire n’est pas celle qui coûte moins cher aujourd’hui, mais celle qui coûtera moins cher à la planète demain.