Cette interview de Magdalena François-Thurin est parue dans la Lettre du Capital Immatériel 24 parue fin 2018. Ancienne directrice Executive Education à Montpellier BS, Magdalena est aujourd’hui la co-fondatrice de LiFT Financial wellness inclusion and education.
Comment définir la diversité en entreprise ?
La diversité est en effet un concept large. Dans le contexte de l’entreprise, une définition simple de la diversité pourrait être la situation dans laquelle l’ensemble de la société civile est représentée dans les effectifs. Cette diversité en entreprise devrait être à peu près équivalente en proportion à celle du corps social et ce dans l’ensemble des strates, des métiers et des niveaux de responsabilité de la dite entreprise. Aujourd’hui, en entreprise et ailleurs, la diversité est une réalité. Ce qui est complexe et qui pose question est d’avantage l’inclusion. C’est-à-dire, non pas le fait que la diversité existe ou pas, mais le fait de la promouvoir et de la valoriser. Si on se place du point de vue de la société dans son ensemble, reconnaître la diversité relève de la reconnaissance du droit à l’existence. En effet, ne pas reconnaître ma différence c’est ne pas me reconnaître en tant qu’individu.
Nous vivons en ce sens le troisième temps d’un mouvement dialectique. Jusqu’au XXème siècle la nature humaine est pensée comme universelle, au sens où elle est définie comme une norme, et que tout ce qui s’en éloigne est appelé à être soit exclu, soit acculturé. À partir du XVIIIème siècle avec l’ethnographie, et plus encore au XIXème siècle avec l’anthropologie, commence à émerger la conception d’une nature humaine prismatique, multiple et infinie. Si ces deux conceptions continuent à coexister dans le monde qui est le nôtre, il est possible d’en faire la synthèse, à travers l’idée d’une diversité non pas culturelle mais existentielle. Selon cette conception, la diversité n’est pas définie par 10 classes protégées, comme c’est le cas aux Etats-Unis, ou 24 critères de discrimination, comme c’est le cas en France. La diversité est bel et bien définie par les 7,5 milliards d’individus qui se partagent la planète.
En France où en sommes-nous de la perception de ce sujet ? A l’étranger ?
Selon une étude publiée en novembre 2017 par la charte de la diversité, lancée en 2004 par Claude Bébéar (alors PDG d’Axa), pour lutter contre les discriminations et promouvoir l’égalité des chances en entreprise, sur les 1 085 signataires ayant répondu à l’enquête sur laquelle est basée l’étude, « plus d’un signataire sur deux (51%) souhaite faire progresser sa gestion RH en s’engageant en faveur de la diversité. 62 % des organisations de plus de 50 salariés et jusqu’à 74 % pour les organisations de plus de 1 000 salariés. »
En parallèle, on peut aussi parfois observer un phénomène de lassitude par rapport au discours sur la diversité.
Après plusieurs décennies d’activisme sur le sujet, les salariés se demandent parfois ce qui a vraiment changé et celles et ceux qui souffrent de discrimination à l’embauche ou en termes de progression de carrière déplorent de plus en entendre parler que de l’observer dans les faits. C’est pourquoi réfléchir selon une logique d’inclusion, qui favorise le sentiment d’appartenance et le sens de l’utilité individuelle, en donnant à toutes les voix à la fois le même poids et la possibilité de s’exprimer, est intéressant.
Quelles sont les bonnes pratiques en matière de diversité en entreprise ?
Certaines mesures méritent d’être soulignées pour la détermination qu’elles traduisent. Je pense par exemple à l’Islande qui depuis le 1er janvier 2018 a déclaré illégales les inégalités de salaire entre femmes et hommes, et taxe à hauteur de 500 dollars par jour pour chaque situation d’inégalité, les entreprises qui ne peuvent démontrer l’égalité de salaire. Toujours dans le registre de l’égalité femmes-hommes, l’engagement de groupes comme AIG ou comme la Deutsche Bank, qui ont choisi de mettre l’accent, entre autres, sur l’accompagnement des femmes vers des postes de management et de senior management, me semble aussi pouvoir avoir un impact tout à fait positif sur l’ensemble de ces organisations.
On peut citer beaucoup d’exemples tous très intéressants, parmi lesquels il y a un angle en particulier que je voudrais souligner. Les grandes entreprises peuvent jouer un rôle particulièrement important lorsque sur le sujet de la diversité et de l’inclusion, elles misent sur l’effet de levier qu’elles peuvent avoir sur l’ensemble de leur écosystème. Je pense par exemple à Carla Preston de Ford, qui a été reconnue en 2014 leader dans le développement de fournisseurs issus des minorités. L’année précédente, en 2013, l’entreprise américaine avait alloué 1,08 milliards de dollars US de contrats à des fournisseurs issus de la diversité.
Qu’est-ce que la diversité apporte aux entreprises ?
Selon l’étude mentionnée ci-dessus, publiée en novembre 2017 par la charte de la diversité « 36 % des signataires s’engagent dans la diversité pour améliorer leur performance économique, 60 % pour les entreprises de plus de 1 000 salariés. ». Cet indicateur est extrêmement préoccupant, non pas parce que ce ratio est trop faible, mais parce qu’il révèle une vision étroite du sujet. A-t-on besoin aujourd’hui de plus de performance économique ? La réponse est oui.
Ce qui nous amène à une deuxième question : qu’entend-t-on par performance économique ? S’il est question de profits basés sur de la production, la réponse est alors non. Qu’il s’agisse de données ou de denrées, l’économie mondiale souffre de surproduction dans un grand nombre de secteurs, de l’agroalimentaire à l’automobile, en passant par les commodités énergétiques. Le cas des données est intéressant. En 2015, la valeur des données échangées dans le monde a pour la première fois dépassé celle des biens. La raison pour laquelle nous n’avons pas besoin de produire plus est que l’augmentation de la production ne sert pas le développement économique, au sens étymologique, à savoir la bonne administration des biens.
Dans un article paru le 22 janvier 2018 dans le magazine Capital, le journaliste Tom Merton faisait référence au rapport de l’ONG Oxfam « Récompenser le travail, pas la richesse » présenté à la veille de l’ouverture du World Economic Forum à Davos. Selon ce rapport, 82 % des richesses créées en 2017 sont allées au 1 % les plus riches et 3,7 milliards de personnes, soit 50 % de la population mondiale, n’ont pas touché le moindre bénéfice de la croissance mondiale. Les femmes paient le prix fort de ces inégalités : sur-représentées dans les emplois les plus précaires, sous représentées parmi les plus privilégiés.
Tout en haut de l’échelle de richesse, sur 10 nouveaux milliardaires, 9 sont des hommes. Dire que la diversité c’est bien parce que ça produit du cash, est une étape peut-être nécessaire pour accompagner les individus et les organisations sur le chemin de la promotion active de la diversité. Mais il faut, je pense, aller plus loin.
La diversité peut donc avoir un impact sur la performance économique, mais y a t-il d’autres composantes qui sont impactées ?
Bien sûr. Et nombreuses sont les entreprises qui utilisent pour mesurer leur performance une triple, voire quadruple bottom line : économique, environnementale, sociale et sociétale. C’est bien sur la performance sociale et sociétale d’une entreprise que la diversité a le plus d’impact positif.
Pour une entreprise, avoir des équipes diverses, représentatives de la société civile, va lui donner plus de chances de développer des produits, des offres et des messages commerciaux qui sont en ligne avec à la fois les besoins et les envies des marchés qu’elle vise. C’est donc bénéfique pour son chiffre d’affaires, mais aussi pour la société qui est davantage écoutée et prise en compte dans les stratégies des grandes entreprises. La préoccupation environnementale des millenials par exemple, est aujourd’hui particulièrement prise en compte par les grandes entreprises, notamment parce que leurs salariés, cadres et managers, qui sont en grande partie eux-mêmes des millenials, demandent à l’entreprise pour laquelle ils travaillent de développer des produits qu’eux mêmes sont fiers de vendre et n’hésiteraient pas à acheter.
Vous parlez d’une diversité davantage centrée sur l’humain, qui part de l’humain : pouvez-vous nous donner un exemple ?
Pour les entreprises, cela signifie qu’au delà de se préoccuper de quotas de parité, de politiques d’inclusion, ou de chartes de diversité, il est important de se concentrer sur le niveau individuel, dans son expression la plus élémentaire. Cela suppose pour les organisations d’avoir les idées claires sur les traits de caractère, sur les éléments d’identité qu’elles souhaitent intégrer et attirer. Cela doit être le premier critère de recrutement et de promotion, les compétences techniques venant ensuite. S’il n’y a rien de simple, ce n’est pas non plus aussi compliqué que cela en a l’air. En effet, l’objectif, à savoir se préoccuper de chacun des employés, de leur identité et de leur personnalité, pour une multinationale de cent ou deux cent mille salariés semble infaisable.
À moins de se souvenir que ni les GAFA ni les BATX n’existent. Seuls existent les femmes et les hommes qui les dirigent, et les femmes et les hommes qui y travaillent. Il en va donc de la responsabilité des dirigeantes et des dirigeants de définir avec quels êtres humains ils ont envie de travailler, puis de recruter, de former et de promouvoir selon ces critères. Ainsi faisant, la diversité se développera de manière organique.
En publiant une offre d’emploi de type « recherche informaticien », vous prenez le risque d’accentuer un phénomène de reproduction sociale, la filière étant aujourd’hui, en tout cas en France, majoritairement masculine. En revanche, publier une offre d’emploi de type « recherche empathique, désireux de changer la vie de ses collègues en proposant un service informatique d’excellence et des solutions innovantes et adaptées aux problèmes techniques, attitude primordiale, compétences techniques pouvant être acquises sur le poste » peut élargir le vivier de candidats et de candidates intéressés par le poste, et en conséquence favoriser la diversité des recrutements et donc de l’entreprise dans son ensemble. C’est un exemple simple, voire simpliste, mais qui illustre à mon sens la nécessité d’aborder la question de la diversité par le prisme de la personne humaine.